dimanche 29 mars 2009

Vous occupez un emploi stable dans un consulat depuis 27 ans. Votre travail ne vous a pas trop fatigué et le matin, dans le grand miroir de votre entrée, vous trouvez que vous portez beau votre cinquantaine bien tassée. Il faut dire que vous taillez votre bouc argenté poil par poil et que vous choisissez vos costumes avec application. Vous étrennez aujourd’hui un ramani anthracite, col mao, du plus bel effet sur chemise claire et teint mat.

Votre fonction consiste à assister vos compatriotes exilés dans les démarches administratives relatives à leur nationalité, autant dire : une tâche fastidieuse, répétitive et poussiéreuse de gratte-papier. Derrière votre comptoir avec hygiaphone, vous délivrez passeports, cartes d’identités et autorisations diverses comme un seigneur dispenserait des faveurs. Avec une condescendance sévère ou cordiale, suivant le client, mais toujours un peu du mépris de l’initié.


Vous travaillez là « par relations » comme on dit, ou plutôt par relations de votre père, avec pour seule compétence la langue que vous parlez. Vous faites l’objet d’une totale indifférence de la part de vos supérieurs ou collègues ; jamais on ne vous consulte pour un avis, on vous évite à l’heure du déjeuner et vous apprenez le mariage de la fille de l’un ou de l’autre des mois plus tard. Vous avez fini par développer votre sens des relations uniquement en direction des clients, et vous leur faites payer vos années d’humiliations.


Vous prenez des poses avantageuses : calé au fond de votre fauteuil derrière le comptoir, les jambes haut croisées et écartées pour un air décontracté, votre veste de costume avec le col bien ajusté, vous choisissez vos mots avec soin et articulez avec précision, comme vous pensez que le ferait un aristocrate. Vous dispensez en prenant des airs de conspirateurs et au compte-gouttes des informations graves et erronées, dans le but de vous donner de l’importance.


Malheureusement pour vous, on ne sait quoi dans votre désinvolture laisse penser que si un de vos supérieurs entrait à ce moment, vous reprendriez d’un sursaut la position qui sied à votre fonction, de respect et attention envers votre interlocuteur. Il est presque palpable que vous guettez un bruit de pas derrière la porte.


Vous aimeriez que votre client vous sollicite comme un allié précieux qui possèderait les arcanes d’un monde obscur. Mais, alors que vous faites tout pour qu’il se sente tout petit et dépendant de vous, votre client remarque que vous ne décrochez pas le téléphone qui sonne. Il en déduit qu’il est sans doute votre seule occasion de la journée de ne pas vous sentir vain et creux.


Avec de la chance, il se contentera de sourire et d’être content de ne pas être à votre place.

3 commentaires:

Anonymous a dit…

haha, je le connais celui là,
tartine

Anonymous a dit…

Je ne m'en souvenais plus de celui-là. Je l'imagine bien. En tout cas c'est très bien tous ces caractères différents, surtout quand c'est plus gros car du coup je n'ai pas besoin de mettre mes lunettes... et puis j'aime bien la photo des cailloux, ou des tâches d'encre...Je sens qu'il va être riche, ce blog, il promet. Continue et surtout ne devient pas pro.
Chocolat (noir)

barnioc a dit…

c'est quand même malheureux de ne reconnaître aucune des 5 personnes à qui j'ai passé l'adresse du blog parmi les anonymes, c'est toi s? ou i? ou v? ou p? Prudence Petipas n'aurait pas dit que c'était des cailloux ou des taches d'encre ... il aurait râlé parce que je ne lui ai pas demandé la permission.