Retraite
Je prends ma retraite en tant que DG mais j’ai assuré mes arrières. Pour commencer, j’ai recruté un gros naze pour me remplacer. Ensuite, j’ai placé au conseil d’administration assez de mes sbires pour assurer mon élection au poste de président, d’où je piloterai le gros naze. En attendant, je me fais préparer une grosse fête où tous mes sujets seront au garde à vous. Mais chut, je suis censé n’être au courant de rien, je ne voudrais pas être assimilé à un président de république bananière. Je rêve secrètement d’une statue de moi avec une belle plaque en bronze ou en marbre au milieu d’une pelouse entretenue. Mais tous ces crétins ne vont même pas y penser.
Autour de moi la haine et la terreur sont palpables. Je regrette d’avoir distribué toutes ces promotions ; la moindre de mes collaboratrices est cadre et maintenant ils me chient tous dans les bottes. A 18 heures, quand je commence à bosser, ils sont tous partis. Il ne me reste plus que les congés pour faire pression. Ils n’ont pas fini de déguster, et d’ailleurs ils dégustent déjà, c’est pour ça qu’ils me détestent. Ils tremblent quand ils ont une question à me poser parce que j’ai perdu l’habitude de parler, j’éructe et j’aboie. Quand je hurle des ordres contradictoires, gare à qui osera un regard interrogateur, ou pire, une observation. Alors je me déchaîne, je deviens rouge, je gueule et j’en bave de fureur.
Parfois tout de même, après réflexion, si je sens que je suis allé un peu trop loin, j’essaie de me rattraper et je tente un trait d’humour avec mon terrorisé du moment. Si ce dernier attend une promotion, j’arrive à obtenir un regard plein de gratitude et de soulagement. J’ai du mal avec les cyniques qui n’attendent rien et qui affichent ouvertement leur mépris. Surtout si j’ai besoin d’eux, merde alors. Il me reste heureusement la possibilité de les menacer, je les ferai chier sur leurs congés et sur leurs horaires. Tiens, d’ailleurs je viens de supprimer à mes cadres à la con leur après midi de RTT. Ces crétins ingrats bosseront tous les jours et se taperont une pause déjeuner de deux heures. Et je me fous des syndicats, je paie les élus à grand renfort de promotion.
Il y a des jours où j’arrive à m’abstraire de toute cette haine que j’inspire. Je pioche pour cela dans le vivier de mes 600 salariés où je trouve toujours un gus en mal de promotion. O combien leurs regards admiratifs sont doux à mon ego. Avec de la chance, j’en trouve parmi eux un qui s’occupe des attestations sécu et j’en profite pour en retarder l’établissement et la signature. Ca fera les pieds à tous ces glandeurs en arrêt maladie.
Puis il y a des jours où je doute, où je me sens seul. Et si je n’étais qu’un gros con répugnant et sadique ? Je me repasse en boucle des situations où j’ai senti peser sur moi un regard méprisant mérité. Le seul moyen de me sortir de cette spirale c’est d’inviter à déjeuner une de mes collaboratrices en espérant qu’elle arrivera à restaurer cette image pitoyable que j’ai de moi-même. Je déploie alors des trésors de séduction, je la complimente sur son travail et son importance au sein de la boîte. Si elle est intelligente, toute à sa satisfaction d’être épargnée par mon profond courroux, elle saura manifester assez de respect à mon égard pour que je m’en sente flatté.
Mais je dois être prudent, la dernière que j’ai invitée à cet effet m’a demandé si je ne me fatiguais pas moi-même avec mes colères. Elle m’a éclaté de rire au nez, cette hystérique.
C’est une naïve et une vraie conne. Elle le paiera.
5 commentaires:
Tu ne dois pas beaucoup l'aimer mais en tout cas, tu lui dois une grande partie de ton inspiration !!!!
ah oui, le coup des attestations sécu, c'est pareil à mon boulot, c'est vil
Et ce n'est pas tout ... j'en garde pour plus tard
comme je te disais tout à l'heure, ta princesse, c'est une bouffée d'air frais, non?
Voui (je suis gaga, ça se voit ?)
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